Lorsque sa vision a commencé à se dégrader, Seneida a trouvé du réconfort dans l'escalade. Mais ce n'est qu'à partir de sa rencontre avec d’autres grimpeurs qu'elle a finalement appris à s'ouvrir et à accepter son handicap. Ce documentaire de Janelle Dransfield et Rachel Ross met en vedette l’athlète malvoyante et développeuse de produits Black Diamond Seneida Biendarra au moment de son entrée en compétition sur la scène mondiale.

Black Diamond présente : ONSIGHT
Film : Janelle Dransfield & Rachel Ross

La marche d’approche jusqu’à la falaise détermine tout de suite le niveau de difficulté de la journée : traverser des pierriers, des zones boisées et éviter les possibles chutes sur le sentier ne font pas seulement partie des défis habituels mais fournissent également des indications sur la façon dont ma vision coopérera. Chaque étape est soigneusement gérée en fonction d’un minuscule tunnel de vision qui joue le rôle d’indicateur souvent peu fiable. Comme mes yeux scannent d'avant en arrière pour élargir mon champ visuel, je recueille des informations à travers un petit périscope de la taille d'une balle de golf qui affiche 5° du monde à la fois. Ma vision est claire les jours de chance, ou parfois voilée par des points clignotants ou statiques, mais suffisante pour voir la largeur du sentier et trouver l’équilibre sur un terrain escarpé. Parfois, mon nerf optique gonfle, et mon tunnel de vision rétrécit et s’obscurcit. Ces jours-ci, pas le temps d’observer le paysage, je consacre 100 % de mon attention visuelle au placement de mon prochain pas. Je cherche, j’avance, je m’équilibre, je recommence, jusqu’à ce que j’arrive à la falaise.

Ce processus peut paraître frustrant et il l'est. Je me souviens à quel point c’était plus facile de randonner avant et je regrette mon ancienne vie de voyante. C’est différent de grimper parce que ça a toujours été difficile. Ce n’est qu’après avoir commencé à perdre la vue que je me suis encordée pour la première fois au pied d’une colonne de glace dans le Wisconsin. Alors que traverser la rue me faisait encore très peur, grimper sur la glace m’a paru soudain magique. À la fonte des neiges, j’ai enfilé des chaussons d’escalade et découvert un sport où je ne me sentais pas différente. Si j'avais la patience et l'endurance de rester suspendue dans mon baudrier jusqu'à pouvoir dénicher la prochaine prise, je serais capable de grimper aussi fort que mes camarades. L'escalade me procure un espace où le mouvement est contrôlé et réfléchi et où la peur sert un objectif. Souvent, trouver son chemin sur le sentier escarpé qui mène à la falaise s'avère plus frustrant que l'escalade, où je me sens comme si je reprenais le contrôle sur un plan vertical. Être malvoyante est extraordinairement humiliant. Avoir un espace pour se sentir puissante et en capacité m'a permis de reconstruire ma confiance à partir de zéro.

 

J’ai toujours eu du mal à comprendre la partie adaptative de moi-même ; en tant que personne déficiente visuelle, je déploie beaucoup d’efforts à essayer de me fondre dans la masse. La perception publique de la déficience visuelle étant sur le mode binaire voyants/malvoyants, le fait de dissimuler mon « handicap invisible » est apparu naturellement. Et sans les marqueurs flagrants du handicap visuel comme la canne ou le chien, ça me semblait de mauvaise foi de m'identifier à une personne aveugle.  Moi ? J'étais grimpeuse et ingénieure. Est-ce dû au fait que je m’étais construite en tant que personne apte avant mon diagnostic ?... En tout cas je culpabilise d’imposer à mon entourage les difficultés de mon quotidien.

'

A portrait of Seneida Biendarra.

'

Pendant un temps, je n’étais pas sûre que je rencontrerais d’autres grimpeurs et grimpeuses comme moi. Je voulais le faire mais je ne savais tout simplement pas comment. Il a fallu qu’un mentor me pousse à assister à l’Adaptive Climber’s Festival à Red River Gorge pour que je commence enfin à accepter mon handicap par le biais d’un sport qui m’avait déjà aidée à m’en sortir. À ce festival ACF, j’ai rencontré pour la première fois des personnes confrontées aux mêmes difficultés que moi, qui avaient leurs propres histoires de déficience ou de sentiment d’isolement dû à leur handicap. Dans cette communauté, j’ai découvert la liberté de pouvoir exprimer ses non-dits à voix haute. Ces conversations à cœur ouvert m’ont permis de briser huit ans d’isolement et de finalement trouver les mots pour raconter mon histoire.

  

—Seneida Biendarra

Seneida Biendarra and a friend at the crag.